samedi, juillet 08, 2006

Manuscrit jazz quartet 04/2Partie

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Manuscrit Ax
Sous chemise b

« impose ta chance, sers ton bonheur
et vas vers ton risque.
A te regarder ils s’habitueront. » R. Char

7 octobre 1997 — Je connais le difficulté qui m’attends.

s’exiger moins, accepter plus ; phrase à phrase, qui sait… j’ai du mal à trouver le ton qui me conduirait à parler simultanément et de ce travail que je mène depuis des années déjà et de ses pièces attenantes : chambre ou salon. Retracer l’un esquisser l’autre. Décalage. Rencontre. Parfois la distance se dissout. Nous ne savions plus dans quelle pièce nous étions. Des moments. Des singularités quelconques — comment mettre au passé le cour de nos promenades qui parfois duraient des heures ? Nous longions la Seine, nous allions jusqu’au Marais… Comment, avec quelle violence mettrai-je fin à nos conversations ? Sa voix bouleversée me parlant d’un enfant, elle me tend sa voix comme sa peau, des phrases que seul un oui nous permet d’effectuer : savoir rompu et égaré, les trajets multiples qu’il produit, échos, ombres, fêlures, lien ; son antichambre obscure et monotone comme un robinet mal fermé, la verticale des gouttes, le clapotis profanant le sol, sans que personne atteste l’occasion d’une vie. (Ces conversations, oui, et les autres.) C’est après, alors que plusieurs tours auront laissé le sillage ouvert, qu’une phrase peut venir habiller l’enfant qui était là, elle — enfant elle dormait dans le salon, une chambre manquait, la sœur avait la sienne, l’autre avait été cédé à une fille au pair, elle n’avait pas de chambre, elle, son lit était défait chaque matin, les repas avaient lieu là ; j’entends le scandale qu’elle ne dit pas, il m’arrive par le regard, un silence et son visage ; je dis une phrase quelconque, c’est le ton qui est juste. Regard. Je la prends avec moi — le paradoxe d’une distance, je m’éloigne, je sors de la chambre sur la pointe des pieds, j’éteins sans faire de bruit, elle peut dormir maintenant.

ces conversations et d’autres. Celles qui viendront ensuite… à cause de cela, sinon plus… Je ressens son départ comme une perte irréparable. Je ne sais si je dois contrôler mon émotion afin de continuer à écrire ou bien la laisser couler dans l’encre.

Cela me semblait scellé (du corps à la voix) par une lettera… Mots d’alliance. Plus forts que tout. Comme d’une résistance, je pouvais y aller — le temps pressait


joie. Ces évènements quelconques. L’achat d’un livre que j’attendais, la surprise d’apprendre que la question était enfin abordée et sa proximité douce et amoureuse ; chacun de son côté, elle aussi à la trace d’un sujet qui la tenait à cœur ; solitaire, élue, ailée, avec une fierté nouvelle, avec moi de peur et pourtant timide, confidentielle, émouvante, peau papier bible, jamais un visage m’aura autant ému, ma sœur mon épouse, elle est là fouillant dans les rayonnages, nos déplacement se suivent toujours d’un regard ; corps et gravitation, au centre ou quelque part, un chiffre prenait soins de nous, malgré la tempête — et maintenant ?

Et cette question maintenant — la voix qui aura traversé de si singuliers moments ne peut-elle pas à l’occasion, en prendre soin ?
J’étais abasourdi de ne rien entendre. Comme s’il s’agissait d’un autre je n’ai pas voulu déranger.


Ou quand elle s’arrangeait pour m’offrir un livre sous mon nez. J’aimais ces livres — elle s’appelait alors Ste Ange.
Ste. Ange, c’est peut-être elle, et elle seule qui peut maintenant m’entendre — Pourquoi pas une lettre ? Hein ! Nous verrons.

Ce qui demande des siècles pour avoir lieu peut-il être détruit en si peu de temps ?


8 octobre 1997 — Laissons le moment reposer en lui-même. Quiétude. Laissons… Plus loin... Avant de reprendre l’écriture.

Fluctuations. Reprises. Des échos. Plusieurs voix. Prégnances. Je n’ordonne pas. Proie facile. C’est une langue se retournant dans tous les sens ; corps avec. Avec. C’est ma.

Dialogue — Sir ! Chantez-nous un dessin, Sir ! Répliques. Phrases : l’aphorisme. Scènes. Disputes.
— L’amour est un malentendu en soi-même.

Je laisse ces moments à eux-mêmes.

Je ne peux pas écrire. Je peux écrire. C’est la même phrase. Le silence nous vient, nous qui allons, mais n’écoutant pas.

Musique. Haydn…
Quatuor opus 77


15 octobre 1997Reprendre, recommencer.

Précaire. Il aura été impossible bâtir. Tant de soins pourtant. Quelle demeure, demeure ?

Musée Rodin à Meudon. Nous devions retourner un jour de printemps — je lui avais lu une nouvelle de Gogol, nous nous étions assis face au Mausolée, le Penseur, où il est enterré avec Rose, cette femme qu’il fini par épouser à la fin de sa vie mais dont il ne le lui reconnu pas son fils. La nouvelle s’intitulait « Le portrait »— mais qu’est-il advenu de l’épouse ; était-elle là, ce jour-la ?

Si je n’avais pas pris tant de soins… ce que je vis serait moins insupportable. J’avais d’une couleur à l’autre placé le jaune comme troisième, sachant que le temps pressait. Etudes et traversée : l’apprentissage non d’un métier mais d’une vie. Accidentée — trop précaire par moments pour que je n’ignore pas pourquoi il m’était nécessaire au tournant de garder silence : veiller seul d’abord, pour ensuite aller de nouveau auprès d’elle. Couleurs jaunes, par exemple ces teintes dorées chez Rembrandt… Je suis encore au Louvre, égaré, sans expédients et pourtant confiant. De salle en salle seul, silencieux. Précaire. L’épouse comme métaphore — son visage si proche du tableau. J’avais restreint mes visites à ces replis : un tableau, une lecture, la nuit, mes promenades — car, à qui parler ? Auprès d’elle aussi ma présence était devenue discrète — que pouvais-je lui dire en dehors de ce que j’affirmais ? et le lui ayant dis ne devais-je pas œuvrer dans ce sens plutôt que de lui faire par de ma détresse ? Pour autant que je me souvienne jamais je n’aurais cessé de produire la métaphore. La patience, avais-je lu quelque part, est l’apprentissage de la victoire.
« Horreur psychique » qui parfois m’engluait. Je pouvais m’aviser d’une défaillance et du savoir oraculaire qui l’accompagne, je ne m’identifiais pas. Ecriture et dessins mes seules armes.
Je savais que je récoltais le négatif de ce que plus tard serait éclosion. Une raison oeuvrait là — écart et distance m’avaient instruit. Il est de la nature de ce savoir que je ne puisse dire, certaines choses, autrement que moyennant la friction d’un nom : j’inventais Gracian. J’étais parfois cette pudeur.

(Ce poème de Rimbaud, A une raison, que j’associais à … Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie. Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! ...une réforme de l’entendement)

A une raison. Cette raison. Les déboires de cette raison, je ne goûtais pour ainsi dire que les inconvénients de la démarche, m’expliquaient pourquoi nous pouvions nous en détourner et préférer les discours qui par leur autorité (social) nous soulagent une fois que nous les adoptons. Qu’il en résulte un désaveu des nos efforts en cours, c’est un prix que nous sommes d’autant plus prêts à payer que c’est le succès qui nous attend.
Discours : religieux, philosophique ou esthétique…
Cette raison, que j’estimais ne jamais avoir été traduite : l’artiste est cet infans (ne parle pas) qui dépendant de la belle langue de ses prédateurs ne pense pas,
cette raison, dis-je, était pour moi l’horizon d’un travail. Je n’aurai reconnu qu’un seul « auteur » capable de me faire signe d’avancer, être à même de m’accompagner et plus d’une fois me nommer. J. Lacan

(c’est difficile, mais il faut y aller ; temps difficiles, réserve-toi)

17 octobre 1997 — Parler. Lui parler. Quand ? Comment ? Entre ce que nous désirons dire à quelqu’un et ce que nous pouvons lui adresser il peut se créer une distance qui soit nous importune et dérange, c’est alors le bavardage, soit nous exprimer l’obstacle comme cette tension qui achemine le désir, et c’est un lieu, un lieu vacant où nous prenons séjour pour attendre. Nous pouvons passer toute une vie ou une partie de celle-ci non pas à attendre que cela se produise, mais à œuvrer pour que cette parole soit autant un dire que l’enclos d’un excès, nous pouvons, dis-je, plus qu’attendre, agir en patience, accepter que pendant une plus ou moins longue période ne sortent de notre bouche que des mots restreints, moins éloquent et plus circonspect, pour nous adresser, comme si la probité seule, pouvait laisser entendre le lieu d’où ils nous viennent et la force qui les agit, assignant toujours la verticale d’un rendez-vous ; rendez vous qui n’est pas différé à cause des entraves ni de les désappointements du désir, mais parce que la nature de nos efforts ne sont pas le rébus d’un caprice, ni de notre subjectivité, auquel cas la chose se réduirait à l’occasion d’un sentiment, mais à cause d’une raison, qui prend chez nous, le caractère de loi dont nous nous appliquons à suivre ses méandres, comme s’il nous fallait, pour jouir de ce nouvel amour, une réforme de notre entendement. Nous voudrions aller plus vite, et nous le pouvons, mais comme je disais, au prix de ne plus exprimer ce que nous voulions adresser, seulement seriner des lieux communs au gré des circonstances pour que nous soyons à l’aise. Nous croyons peut-être coïncider avec l’état des nos sentiments, en réalité « ces sentiments » (ce pathos) au lieu de traduire une singularité, trahissent l’état de passivité dans lequel nous nous trouvons, ce n’est que la comédie humaine qui cause. Canevas du lien social. Idéologies de bonne séance.

(Avant)


Du « petit carnet chinois » :
26/06/97— lecture des notes pendant le dîner. — Tu fantasmes ! No comment.
3h30— Je ne peux plus dormir. Rêve. Je me réveil comme si notre séjour avait pris fin là. Que puis-je faire d’autre sinon écrire. Un plus. Ecrire comme pour sauver
—tracer un pont —
Cela fait très longtemps que je ne lui parle plus.
Je lui ai offert une bague. « Les couleurs du peintre » Provence. Antibes.
Deux jours avant au restaurant à Cabris — lui parlant du Trobar. Descendre à Montpellier. Etudier l’occitan, el cansoTrobar. Dame de loin c’est la peinture. Les éléments sont là, mais la saison qui donnerait floraison manque. Printemps indécidable. Je lui en parle : cela ne prend pas. Elle se méfies ou s’attend au pire.
« Tu vas me quitter » etc. Elle sort ses larmes. Tire des pleures.
— Un dessin Sir ! Comme dans le temps. Parlez-moi de Watteau Sir !
— Son erreur. Mourant, il se lève pour détruire les dessins qui selon lui seraient trop licencieux.
— Sir ! Vous voilà triste.


Or nous désirons. Parler. C’est-à-dire ne pas soumettre, ce geste, aux avatars du jour. Peu d’éléments nous permettent deviner ce contexte qui nous serait favorable, pourtant nous continuons à nous conduire de la sorte parce que nous accordons à notre parole, en ce qu’elle s’adresse à la personne que nous aimons, une valeur d’éternité. Et là nous n’avons pas seulement trouvé un obstacle à nos élans, mais aussi la chance de ce nouvel amour. Ce n’est pas que nous n’allons pas vite, c’est que nous allons avec une sorte d’éternité.
Aller suffit.
Nous ne souhaitons pas tant les résultats qui nous donneraient une gloire incertaine comme nous désirons que l’effet d’un nom (signature) nomme la femme que l’on aime. Faire son portrait, mais, là-bas, où la peinture a lieu.

18/10/97 — D’avoir pris soin comme on enregistre une trajectoire afin de s’en acquitter plus tard par le trait, ce que j’entendais n’avait par comme unique source ce qui, dans les circonstances, m’était adressé ; ainsi quand elle est venue me parler en m’intimant de comprendre ses arguments qui, je n’en doutais pas, étaient sincères, (je devais le remercier d’être honnête avec moi) il me suffit d’introduire la passé le plus récent pour marquer l’endroit exacte d’un revirement et déduire que tout ce que désormais je pouvais lui dire ne trouverai plus la personne avec j’avais un lien. Je trouvais ça drôle que ce soit la même personne qui, quelques mois auparavant me manifestait sa souffrance jalouse — « tu vas me quitter », vienne maintenant avec la même sincérité me « faire part » d’une décision de longue date…

/P.S. : A moins qu’en inversant l’ordre on ne découvre qu’elle s’est limité à énoncer une vérité — Tu vas me quitter.



FIN

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