samedi, juillet 08, 2006

Manuscrit jazz quartet 04/1Partie

Aller au début du récit, Manuscrit jazz quartet 01
Le jour d’après je terminais par prendre le dossier avec moi. J’allais à la Bibliothèque. Je rentrais un peu plus dans la lecture. Si je comptais les dates, il manquait un mois d’écriture. Beaucoup.
Pour l’instant je ne voulais pas en savoir plus. Cela me suffisait. Un mois.

Ce qui me préoccupait était mon « état présent », seule source dont il fallait s’occuper puisque c’est de là que le reste pouvait jaillir. Que je puisse comprendre ce que j’avais voulu écrire mais aussi ces choses auxquelles je n’ai pas su penser, les aspects que j’aurais pu négliger et la partie qui demeurait refoulée, comme aussi, le sens de certaines phrases, ne dépendaient pas du passé seul, l’acte que je pouvais maintenant accomplir n’était pas neutre, ni passif. D’ailleurs, ce n’était pas pour moi du passé. La manière dont j’avais d’y songer me le laissait entendre et quelqu’un m’écoutant parler de cette période n’aurait pas pensé autre chose. Mais ce n’était pas non plus du présent,

je me disais seulement qu’il devait y avoir une pointe de vérité,


Ce ne peut être qu’une chanson où l’on dit sa peine. Je ne m’attendais pas à ce que mes amis, tous, oui tous, allaient doubler ma douleur. Aucun n’est venu. Un accord tacite quant aux faits. Si peu de musique

deux jours après avoir dansé sur le quai, elle, ma femme, m’appelle pour me dire que sa famille est froide. Personne n’accordait de l’importance à ce qu’elle venait de réussir, son diplôme, sa fin d’études. Je lui dis : Viens ! Trois heures de route.

nous devions partir en voyage pour le fêter, elle me le rappelle, j’argumente, explique que ce n’est pas possible, à cause du travail, elle insiste, je l’écoute. Silence. Je vois ce paysage. Elle a raison : il faut y aller. Je le lui dis. Mais elle répond que ce n’est pas important… Le contraire de ce qu’elle disait il y a un instant. Dénégation. Silence. Je ne parle plus. Un repas, ce repas. Là où elle peut-être ne se souvient pas. La dernière fois que nous parlerons ensemble, de nous à nous.

Elle repart. Il suffira d’un mois et demi.

J’avais demandé à l’Alek qu’il me prête sa chambre de bonne. Ainsi pour un temps. Ainsi pour un temps comme nous l’avions décidé avant les vacances. Ce temps que l’on s’accorde, encore imprégnés d’amour. Chanson. Nous devions voir pour l’avenir. Rester séparés pour un temps. Ainsi pour un temps. Ainsi pour un temps comme nous l’avions décidé. Ce temps que l’on s’accorde, encore imprégné d’amour. Mais la vie sépare ceux qui s’aiment.

Un mois et demi. Septembre. Retour de vacances. Nous nous donnions rendez-vous sur la terrasse d’une brasserie. Mais avant dans l’après-midi je devais passer à la maison. D’ailleurs elle aussi : — On risque de se croiser, précise-t-elle au téléphone, mais le rendez c’est pour le soir, ok ? Quand je rentre je vois que ses affaires sont là. Dans la chambre, sur le lit, un livre qui me fera dire — enfin elle s’intéresse à moi : La solitude du labyrinthe. Un soulagement remplit mon visage. Je me suis senti justifié pour une partie de nuits blanches.
Le carnet. Ces notes du mois de juin, ce jour, le 26 du mois, (puisque j’ai le carnet sous mes yeux) je trouvais dans le journal d’un côté un article sur Spinoza et de l’autre un dessin de Watteau. Je me suis aussi sentis justifié pour une parti de mes nuits blanches. Mais, voyez-vous, je me sers de l’expression en ignorant ce quelle veut dire, se sentir justifié



carnet où je notais pour plus tard, te souviens-tu mon amour des temps difficiles, secret autant que surprise d’un livre (je prendrai une chambre pour écrire ce livre, et voir, je sais, je sais, quelque chose doit changer. C’était la chambre jaune). Tant de notes et de détails précis. Des moments passés à Antibes. Mon bras lui indiquant au loin le cas d’un vert rouillé, les collines boisées de pin à Grâce ou à Saint Paul de Vence. Elle qui pleurait parfois on disant : tu vas me quitter. Et moi qui ne disais rien (te souviens-tu mon amour des temps difficiles)

Donc, je pris le livre qui était sur le lit, une carte postale servait de marque page : la reproduction d’un tableau qui gardait une parenté avec certaines de mes œuvres. J’ai cru que, comme à distance je prenais soin d’une chanson : te souviens-tu mon amour de temps difficiles, elle, libérée de la tension des examens, ayant eu les résultats qu’elle craignait ne pas être en droit d’obtenir : c’est la voix de sa mère lui disant : mais, toi, ce n’est pas grave, tu n’es pas douée pour les études, pourvue d’un diplôme avec mention, elle dis-je, commençait à s’intéresser à moi, car maintenant c’était à mon tour de mener à terme quelque chose (selon cette entente qui ne reste pas aux faits et les doubles d’une valeur symbolique), voilà ce à quoi j’ai pensé en voyant la carte postale et ce livre : La solitude du labyrinthe, soulagé en quelque sorte. Labyrinthe, était un mot à moi, je lui disais que j’étais dans un labyrinthe. Enfin elle m’écoutait, oui, je me suis senti compris au-delà des contraintes du moment, enfin, et il était temps

… mais il me fallu seulement retourner la carte pour comprendre ma méprise — elle lui était adressée par quelqu’un de notre connaissance, un ami de sa cousine, dont elle m’avait dit le plus grand mal, un certain mépris, je crois : sexualité peu conforme, n’ayant cure du genre, allant dans tous les sens, bref, un cas notoire d’infidélité ; adressé comme seul peut le faire quelqu’un avec qui on partage une certaine intimité : billet doux disait-on aux XVIII siècle. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire et de trouver déplacé le choix de la postale. Je venais de lui offrir un livre ayant pour titre « L’amour est un crime parfait ». Puis sur son bureau m’attendaient d’autres cartes du même peintre. Le raffinement était à son comble. Elle avait franchi le seuil de la pudeur. Mais pourquoi avoir choisi ces postales ?
Elle arrivera peu de temps après ; j’étais dans le salon. Depuis la chambre j’entends qu’elle me dit pourquoi je n’avais pas enlevé toutes mes affaires. Voix neutre. J’entendis avec mon corps. Il me semblait que ce n’était pas là ce que nous avions convenu. Je ne réponds pas. Pas vraiment. Le rendez-vous était pour le soir.

Le rendez-vous du soir. Elle m’attendait quand je suis arrivé. Une grimace, lèvres tendues, froides. Une conversation des plus étranges. J’ai compris en deux secondes — Mais, tu veux divorcer ou quoi ! Oui, dira-t-elle. Moi : Ok, d’accord. Ce que chez moi était l’expression d’un coup de tête trouvera chez elle le moment d’un calcul : avait pensait à tout. J’ai vu une autre personne à sa place. Tout changea d’un coup. Pour toujours.
E finita la commedia !


Cette nuit là j'écrirai...

"Chanson pour un prénom dont il n'y eût pas de naissance

— Vois-tu, je ne te prononce pas.
Maintenant qu'il n'y a personne.
Maintenant que tout le monde est parti, je voudrai te parler, au moins, un instant.
Si je te disais ce que je viens d'apprendre, tu en serais triste. Mais tu n’entendras pas. Voilà ce qui est arrivé : tu ne seras pas.
Laisse-moi donc te parler,
je serai, au moins cette nuit, toi qui n’est pas."


ce que je pouvais dire n’avait plus lieu d’être, je ne sais si ce fut silence ou tristesse mais j’avais un nom pour dire la joie qui n’aurait plus à exister, trois jours j’ai attendu avant de comprendre qu’il s’agissait d’un incendie et que j’étais en danger car j’avais préparé trop de choses pour un jour qui n’était plus et qui ne serait pas, comme ce nom pour dire la joie ne serait pas, sans compter toutes ces choses que l’on ne dit pas parce qu’elle sont à l’œuvre, vives et silencieuses, avec l’erreur et le sinthome, tant de nuits blanches
cette espoir folle qui parfois nous prend

le « fait », est la nécessité qui cache la seule chose qui compte, la vérité

mood indigo pour qu’au moins une forme puisse me représenter dans ce que je ne pouvais pas dire ; je n’ai jamais si bien compris l’architecture d’un son comme abri; il n’y avait rien en moi-même qui pouvait produire un acte ayant cet effet, et au fond je comprenais qu’il avait toujours était ainsi,
je ne me voyais en train de lui dire — mais c’était mon tour à moi, c’était la seule chose que je ne pouvais pas lui dire, ce n’était pas une obligation, seulement un lien-d’amour-tacite, mais que je ne puisse pas le lui dire ne m’empêchait pas de le psalmodier au fond de moi : tu ne peux pas nous faire ça, pas maintenant, est-ce que tu sais seulement pourquoi tu ne peux pas faire ça, parce que ça ne se fait pas, c’est monstrueux, non pas maintenant,
coplas de Fin’amor, elle peut
Per son joy pot malautz sanar, Par sa joie les maux guérir
e per sa ira sas morir et par sa colère faire mourir
e savis hom enfolezir et les sages hommes affoler
e belhs hom sa beutat mudar et des bels hommes sa beauté muter
e•l plus cortes vilanejar et le plus courtois encanailler
e totz vilas encortezir.
et tout vilain encortezir

je ne donne pas créance aux faits, les faits, encore moins s’ils servent de caution ; je n’ai aucune estime de l’usage que l’on en fait ; la logique des faits, le coup monté, le fait accompli, jamais réussi à croire complètement, c’est toujours Athènes ou Rome aussi bien que Florence qui reproduit sa toge, c’est fallacieux ; je doute fort qu’entre deux êtres l’on puisse trouver rapport de cause à effet — aussi loin que je m’en souvienne, que je me vois assis sur une chaise, ou promène sur les quais de la Seine, ou que je ne dorme pas, mes soupçons à ce sujet ont toujours été les mêmes, j’aurai mis du temps à enchaîner des phrases mais non pas à savoir ce que je refuse
c’est curieux, je m’entends presque parler de politique… c’est que je me souviens de cette phrase qu’alors je me plaisais à répéter dans le manuscrit : Troie brûle encore, la lui attribuant à Borges, pour laisser entendre que par l’écriture il est question des choses, des faits et des gens sous la forme de leurs éternité, sub especie aeternitatis, c’est-à-dire qu’ils sont envisagés autrement que sous la forme des intérêts particuliers, du calcul qu’accompagne la volonté, c’est-à-dire comme moyens. Hélène, à cause d’Hélène… comme si l’incendie du Reichstag en 33 était la cause de la déclaration de l’Etat d’Exception,

Troie brûle encore, était aussi une bibliothèque que je voyais en feu ; un bien précieux qui brûle, et l’occasion d’un livre de poèmes de René Char,
achetais deux livres de lui, dans le marché du Parc Brassens, une semaine après. Carmen et Alek m’invitent, je ne vais pas bien du tout. Cela m’a fait chaud au cœur de les trouver là, les livres, comme s’ils m’attendaient : Je pense à la femme que j’aime. Son visage soudain s’est masqué. Le vide est à son tour malade.

René Char…
J’ouvris le manuscrit certain de vouloir lire plus en détail…

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