J’ai trouvé la photo par hasard, mais elle m’attendait. Entre cette femme couchée sur des draps blancs et le tableau de Lucien, qui lui à gauche nous regarde : une brèche ce que j’avais rêvé venait résonner sur la toile ou la photo ou le corps nu de cette femme; il faut dire que j’ai beaucoup parlé avec Aude.
Il n’y a pas de modèle. C’est un corollaire des lois précédentes.
Maintenant je me souvenais que la veille j’avais vu un nu de Lucian qui m’avait fait ajouter à l’intérêt pour son travail, l’agrément. Chatouillement.
Lucian, lui ne va pas de main morte. Il fonce dans l’empâtement, la traînée est raide, lourde, sans façon ; ces teintes sont souvent délavées, sales, brouillées et pourtant quand on croit tout perdu, il sauve à distance… la lumière. Cela n’est pas sans rappeler le Titien de dernières années, songez à son Apollon et Marsyas. Mais c’est encore plus apparenté à certains portraits et autoportraits de Rembrandt, je pense en particulier à celui de cette vieille femme, une religieuse, la tête couverte par un capuchon, qui lit : la lumière réfléchie du visage, des larges touches sèches, la mixture est visible : des ocres non désaturés là, désaturés au-dessus : une traînée de gris pour représenter le cyan. Mais il y a aussi cet autoportrait
Rubens et plus gracieux, moins sec, plus vif, les tons plus diaprés, il n’empêche, les tableaux de Lucien nous laissent avec le soupçon : histoire du cousin éloigné, flamand, dont on ignorait tout jusqu’au jour de la lecture du testament… C’est un écho des tous les instants qui vient du fait d’acquiescer à la lumière sans passer par le glacis.
Il suffit de s’éloigner un peu, ce qu’il n’a pas peint, apparaît, le seuil de son art, rentre dans l’espace, il nous laisse ça Lucian, la synthèse. C’est pour cela qu’on ne l’oublie pas. C’est un moment de nous-mêmes. Ce n’est pas très difficile d’aviser que pour lui c’est un éclat, il nous le transmet, non dans le tableau mais dans l’espace. Dans la rencontre. "Corps comme troisième."
Palette : constellation. Cela ne s’invente pas. Il faut aller la chercher. L’acquérir. L’art est ce savoir…
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